Pourquoi la médiation d’Alain Juppé a échoué ?
L’échec de l’intervention d’Alain Juppé dans l’affaire de la présidence de l’UMP opposant François Fillon et Jean-François Copé, a fait l’objet d’un constat par une presse unanime : le maire de Bordeaux, fondateur de l’UMP avait peu de chance d’aboutir. Pourquoi ? Pour les raisons de la mauvaise volonté des protagonistes ? Et si, en réalité, les deux querelleurs n’étaient pour pas grand chose dans cet échec ? Et si en réalité il fallait trouver l’échec de cette intervention dans le manque de savoir faire de l’intervenant ?
Cette question intéresse les médiateurs en herbe. Elle place la barre où elle doit l’être pour confronter les intervenants dans les conflits à un niveau d’exigence suffisant pour qu’ils cessent de reporter leur manque de compétence. Les parties en conflit sont disposées à en découdre. Elles cherchent à s’imposer à l’autre, sinon elles ne seraient pas en conflit. Dans l’affrontement, elles sont donc dans leur rôle. Mais, l’intervenant prétendu médiateur qui se hisse sur ses exigences, est-il réellement dans son rôle ? C’est là le sens de mon interrogation et de ma proposition de réflexion.
Quelques auteurs, comme dans l’Express, se sont aventurés dans une tentative d’analyse des causes de cet échec. Mais les explications politiques ne permettent pas de comprendre ce qui conduisait irrémédiablement à cette impasse. Certains en arrivent même à supposer qu’Alain Juppé ne voulait pas vraiment réussir. Ils lui trouvent des justifications psychologiques avec la relation à l’échec comme une aspiration profonde. Les voies de la psychologie sont aussi sinueuses que d’autres sont réputées impénétrables. Un chroniqueur, Alain Chandelier, dresse un portrait fantasmatique du médiateur idéal, dans lequel il projette sa manière de considérer l’efficacité de l’intervention d’un médiateur : mère Teresa avec un casque bleu. De fait, même si le portrait robot qu’il fait est vraiment à côté de la réalité, il reste le seul à avoir tenté de répondre à la question qui revient en boomerang sur le tiers : pourquoi cette mission a-t-elle échoué ?
La perte de confiance
Il est cependant possible d’avoir une approche plus rationnelle de la situation et de l’observer avec les outils de la médiation professionnelle. La première cause de l’échec apparait en transparence de l’intervention d’Alain Juppé. Dans notre espace professionnel, nous savons que la première condition qu’il s’agit d’obtenir pour lancer une médiation est un minimum minimorum de confiance. A priori, Alain Juppé pouvait l’avoir de la part des deux protagonistes. Mais il a compromis ce potentiel tout au long de ses prises de paroles publiques.
Le manque d’impartialité en devenant intéressé par des aspects de la situation
L’autre erreur d’Alain Juppé a été de gâcher cet acquis en entrant lui-même dans la relation conflictuelle comme un nouveau protagoniste. Il a brouillé l’impartialité en se mettant dans la posture de celui qui assurerait un intérim en attendant qu’une autre solution soit trouvée. Jean-François Copé ne pouvait accepter cela, c’était évident. L’accepter c’était abandonner et se mettre dans une position de devoir reconquérir, alors qu’il était dans la place, occupait l’espace, avait son fauteuil et son bureau dans les locaux du siège même de l’UMP. Les conditions d’Alain Juppé ne pouvaient trouver un accueil de la part des deux adversaires.
L’atteinte à la confidentialité
Et toutes ces erreurs se cristallisent dans une seule. une erreur grossière et majeure, qui passe inaperçue tant elle est énorme : l’atteinte à la confidentialité. Alain Juppé a pris la parole avant d’intervenir. Plusieurs fois. Il a médiatisé son intention. Il a proclamé ses propositions. Il a dit ce qu’il pensait de la situation. Il a tenu des propos moralisateurs envers l’un et l’autre. Il s’est présenté comme un pater familias tandis que des invectives pleuvaient sur une situation que l’un des protagonistes dénonçait comme mafieuse. Toute la presse était au courant de ce qu’il allait dire et les deux acteurs étaient informés comme n’importe qui. N’importe qui ? Précisément ce que ni l’un ni l’autre ne souhaite être. Ils étaient invités, voire sommés de se démettre et à se soumettre. Le sentiment d’être méprisés ne pouvait qu’être au rendez-vous de ces prises de positions médiatiques. Les journalistes rapportaient les propos avec une délectation évidente et participaient à creuser le trou de cette médiation qui avait tant de mal à se mettre en place.
Pas une médiation, en tout cas pas professionnelle, mais l’échec d’une conciliation
Si l’on nomme médiation l’intervention de tout tiers peu compétent, mais motivé, intéressé par un résultat et concerné par l’affaire, alors c’était une médiation. Mais la médiation ne consiste pas en cela. C’est vrai qu’il existe des formes de médiation très diverses : connotation religieuse, connotation juridique, connotation psychologique. La morale, l’intuition, le bon sens, le rappel à la règle, aux us et coutumes, sont les moyens utilisés par toutes ces pratiques. Et c’est vrai qu’Alain Juppé a eu recours à des accents moralisateurs. Ces formes de médiation enseignées un peu partout, sont en fait des pratiques associées à la conciliation : on propose des solutions. On recommande et tente de convaincre. A tout le moins, on pourrait considérer qu’il s’agissait d’une tentative de conciliation, le conciliateur étant un tiers qui recommande des solutions sans pouvoir les imposer. Voire il aurait pu s’agir d’un arbitrage, mais Alain Juppé n’avait pas l’autorité pour cela.
Donc, il s’agissait plus d’une conciliation qui a échoué que d’une médiation.
Ce qu’il convient de retenir
Pour se lancer dans l’aventure de la résolution d’un conflit, il convient de respecter le Code d’éthique et de déontologie des médiateurs professionnels, notamment par ces éléments de postures avec lesquels on ne négocie pas : impartialité, neutralité et indépendance. Et aussi, sans tergiverser, de garantir la plus stricte confidentialité.
Ces quatre aspects tendent à restreindre très clairement le nombre d’intervenants possibles aux médiateurs qui se sont engagés dans une formation sérieuse dispensée exclusivement par l’EPMN et dans le respect du CODEOME.